Provenance : Lien
GUYON, LOUIS (baptisé Pierre-Louis-Henri), auteur, ouvrier, agent d’assurance, chef syndical et fonctionnaire, né le 3 juillet 1853 à Sandy Hill (Hudson Falls, New York), fils de Henry (Henri) Guyon, sellier, et de Domithilde Desjarlais ; le 19 septembre 1882, il épousa dans la paroisse Saint-Joseph, Montréal, Victoria Lefebvre (décédée le 11 novembre 1918), et ils eurent neuf enfants, dont six atteignirent l’âge adulte ; décédé le 15 novembre 1933 à Montréal et inhumé trois jours plus tard au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans la même ville.
Franco-Américain de naissance, Louis Guyon est le cinquième de huit enfants. Vers la fin des années 1850, sa famille s’installe à Montréal, où il étudie chez les Frères des écoles chrétiennes et s’oriente vers une formation technique. Ouvrier machiniste en 1880, il délaissera cet emploi en 1885 pour celui d’agent d’assurance à la Compagnie d’assurance des citoyens du Canada.
Guyon s’implique au sein du mouvement syndical dès le commencement des années 1880, lorsqu’il adhère aux Chevaliers du travail [V. Olivier-David Benoît*]. Il est élu maître ouvrier de l’assemblée la Concorde et secrétaire de l’assemblée no 114 en 1885. Le 12 janvier 1886, il devient le premier président du Conseil central des métiers et du travail de Montréal.
L’Acte pour protéger la vie et la santé des personnes employées dans les manufactures a été sanctionné en 1885 sous le gouvernement provincial conservateur de John Jones Ross*. Le malentendu créé autour des Chevaliers du travail par le mandement sur certaines sociétés défendues de Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau*, archevêque de Québec, retarde sa mise en œuvre. En effet, la nomination des inspecteurs des manufactures, nécessaire à son application, n’a lieu que le 8 mai 1888, date à laquelle le gouvernement provincial libéral d’Honoré Mercier* en désigne enfin trois : Charles T. Côté, James Mitchell et Guyon. Mercier désire que les inspecteurs proviennent des milieux patronal et syndical. Guyon, ayant l’appui des dirigeants du Conseil central des métiers et du travail de Montréal et, de surcroît, d’allégeance libérale, est un candidat de premier choix.
Guyon, fort de son expérience et de ses connaissances du monde ouvrier et des relations de travail, manifeste rapidement son leadership au sein de la petite équipe. Tout est à faire : définir les pouvoirs et les devoirs des inspecteurs, organiser des inspections, enquêter sur des accidents, distribuer les textes des règlements dans les entreprises, élaborer des règlements sur les manufactures insalubres, les établissements industriels et l’âge minimum d’embauche des enfants. Ces travaux ne se font pas en vase clos. Les trois inspecteurs deviennent membres de la State Factory Inspectors, créée aux États-Unis en 1887 et renommée International Association of Factory Inspectors of North America en 1891. Le treizième congrès annuel de l’organisation a lieu à Québec du 29 au 31 août 1899 et le dix-septième, à Montréal du 25 au 27 août 1903. Les nombreux échanges entre les participants y englobent tous les aspects de l’inspection et de la prévention. Guyon est élu président de l’association en 1910, et ce, pour un an. Sa présence constante aux réunions pendant plus de 20 ans et sa profonde connaissance des lois sur le travail en Amérique du Nord et en Europe, notamment, justifient son accession à ce poste.
Guyon est également à l’affût des nouveautés européennes. Un an après sa nomination comme inspecteur des manufactures, il a assisté à Paris au premier Congrès international des accidents du travail. Secrétaire de la section de statistique et d’administration, il rencontre des délégués de plusieurs pays, des inspecteurs et des directeurs de musées de prévention avec qui il entretiendra une correspondance régulière pendant plusieurs années. Il rapporte au Québec un magnifique album illustré, intitulé Collection de dispositions et d’appareils destinés à éviter les accidents de machines et produit par l’Association pour prévenir les accidents de fabrique. On y trouve de nombreux dispositifs de sûreté pour les courroies de transmission, les monte-charges, les machines pour travailler le bois et pour l’industrie textile, les appareils de levage, les laminoirs, les ateliers de construction, la fabrication du papier, le maniement des liquides corrosifs et l’entourage des tubes indicateurs du niveau d’eau des chaudières. De là lui vient l’idée d’organiser à Montréal une exposition sur les moyens de prévenir les accidents du travail. Guyon sollicite régulièrement des fonds auprès du gouvernement et des industriels afin de se procurer les diverses machines de prévention nécessaires à sa réalisation. En 1900, il se rend à l’Exposition universelle de Paris avec une somme de 1 600 $ (1 000 $ proviennent du gouvernement et 600 $, des propriétaires de manufactures). Il assiste au Congrès international des accidents du travail et des assurances sociales, au premier Congrès international pour la protection légale des travailleurs et visite une exposition sur les moyens et dispositifs de prévention. À son retour à Montréal, il concrétise son projet d’exposition. Celle-ci – la première du genre sur le continent nord-américain – ouvre ses portes le 23 septembre 1901 dans l’ancienne église St Gabriel Street, à l’angle des rues Saint-Gabriel et Saint-Jacques. Elle se poursuit jusqu’en 1903, puis, grâce à l’octroi de fonds gouvernementaux en 1909, devient un musée dont l’inauguration officielle a lieu en 1910 et qu’on installe à l’école technique de Montréal l’année suivante.
Guyon, dont les connaissances sur divers aspects liés à la prévention et à l’inspection sont reconnues, a été nommé inspecteur en chef du Service d’inspection des établissements industriels et des édifices publics en décembre 1900. En 1919, il devient le premier sous-ministre des Travaux publics et du Travail, fonction qu’il exercera jusqu’à sa retraite, le 12 novembre 1931. Outre les tâches courantes associées à ces postes de direction qu’il occupe simultanément (comme la planification et le suivi des visites d’inspection, la contribution à des enquêtes de coroners à titre de témoin expert et la bonification des règlements sur le travail), il donne des conférences, présente une vingtaine de communications aux congrès annuels de l’International Association of Factory Inspectors of North America et publie au moins deux articles dans le Bulletin sanitaire. Figure marquante dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail au Québec, Guyon fait preuve d’envergure, de curiosité, d’initiative, de dynamisme, d’engagement et de détermination pour améliorer les conditions de travail des ouvriers. À titre de délégué de la province de Québec et du Canada, il participe à plusieurs autres congrès nationaux et internationaux, dont la première session de la Conférence internationale du travail à Washington, du 29 octobre au 29 novembre 1919.
Au cours des quatre décennies de sa carrière de fonctionnaire, Guyon a contribué à l’élaboration, aux modifications et à l’application de la quasi-totalité des lois et règlements relatifs à ses domaines de compétence. Dès son retour du congrès de Paris de 1889, il convainc le gouvernement de sanctionner l’Acte amendant la loi concernant la protection des employés dans les manufactures, qui permet la nomination d’un médecin hygiéniste. En 1904, il appuie le projet de loi sur les accidents du travail [V. sir Horace Archambeault*]. Il participe aussi à la rédaction des lois sur les heures de travail des femmes et des enfants dans certaines manufactures (1910), sur les fonderies (1911) et sur un jour de repos par semaine pour les employés dans certaines industries (1918).
Guyon a manifesté de l’intérêt pour les arts dramatiques avant son entrée dans le milieu syndical. À l’âge de 25 ans, en 1878, il présente à Montréal sa première pièce de théâtre, le Secret du rocher noir. Celle-ci est de style très français, comme les suivantes : la Fleur de lys (1879), À la Bastille (1879), Tony l’espion (1881), Luigi l’empoisonneur (1881). Ces œuvres remportent beaucoup de succès à Montréal, d’abord à la salle de l’Opéra, mais surtout au Theatre Royal, auprès des amateurs du cercle Jacques-Cartier. Guyon écrit par ailleurs neuf pièces inédites pour ce groupe, dont il est aussi membre. Une vingtaine d’années plus tard, les productions de Guyon suivent plutôt le modèle de l’école américaine de Broadway. La première de cette série, Denis le patriote, est très bien accueillie le 15 septembre 1902 au Théâtre national français de Montréal. La deuxième, Joe Montferrand, est présentée le 26 octobre 1903 au National. Ce spectacle saisissant fait fureur. Il tient l’affiche trois semaines consécutives et est monté au moins trois fois de plus. Sa troisième œuvre, Montcalm, jouée au Théâtre national français le 25 novembre 1907, a également un franc succès. Plusieurs de ses pièces sont aussi mises en scène à Québec. Inlassable, Guyon traduit en français deux comédies, un conte et une pièce de théâtre d’auteurs anglais et espagnols. En 1927, il publie en outre à Montréal une Étude généalogique sur Jean Guyon et ses descendants. Sa grande culture et ses qualités littéraires lui ouvrent les portes de la Société des auteurs français ; de plus, le gouvernement français lui remet les Palmes académiques le 1er mai 1910. Auteur prolifique, Guyon contribue de façon remarquable à l’essor du théâtre au Québec. Les thèmes de ses pièces, en ce début du xxe siècle, montrent qu’il est un des pionniers d’une dramaturgie inspirée par le sentiment national.
Louis Guyon meurt le 15 novembre 1933, à son domicile du 3434 avenue Laval à Montréal, à l’âge de 80 ans. Le service funèbre a lieu en la chapelle de la paroisse Saint-Louis-de-France. Des représentants du monde politique, de la fonction publique, du théâtre et du milieu syndical y assistent. Le Monde ouvrier souligne ainsi son décès : « On lui doit presque toute la législation ouvrière que nous avons dans nos statuts provinciaux car pendant plus de quarante ans il collabora à toutes les mesures tendant à améliorer le sort de la classe ouvrière [qui] perd un ami sincère et un protecteur dévoué. »
Au congrès annuel de l’International Assoc. of Factory Inspectors of North America, Louis Guyon a donné notamment ces conférences : « Emery wheels : their use and misuse », Proc. (Toronto, 1896), 25–28, et « Can our methods of handling belts be improved ? », Proc. (Detroit, 1897), 46–49. Il a écrit au moins deux articles techniques : « Des dangers dans la fabrication des allumettes », Bull. sanitaire (Montréal), 10 (1910) : 101–107, et « Conditions d’insalubrité des établissements industriels », Bull. sanitaire, 16 (1916) : 86–92. Il est également l’auteur de la pièce de théâtre intitulée Un mariage à la gaumine (Montréal, 1904) et du mélodrame les Ceintures fléchées (s.l., 1928).
BAnQ-CAM, CE601-S38, 19 sept. 1882.— BAnQ-MCQ, CE401-S15, 21 juill. 1855.— FD, Notre-Dame (Montréal), 13 nov. 1918, 18 nov. 1933.— Le Devoir, 16 nov. 1933.— Le Monde ouvrier (Montréal), 18 nov. 1933.— La Patrie, 23 sept. 1901, 27 août 1903.— Violette Allaire, « Notes bio-bibliographiques sur Louis Guyon [...] » (travail de b.a., univ. de Montréal, 1953).— Archidiocèse de Québec, Mandement de Monseigneur E.-A. Taschereau, archevêque de Québec, sur certaines sociétés défendues, 19 avril 1886 ([Québec ?, 1886 ?]).— Assoc. pour prévenir les accidents de fabrique, Collection de dispositions et d’appareils destinés à éviter les accidents de machines (Mulhouse, France, 1889).— BCF, 1920.— Jean Béraud, 350 ans de théâtre au Canada français (Ottawa, 1958).— J.-C. Dionne, « Notes de recherche : documents pour l’étude des expositions et musées pour la prévention des accidents et des maladies du travail au Québec au début du siècle », le Travail (St John’s), 40 (1997) : 199–211.— Jean Doat, Anthologie du théâtre québécois (Québec, 1973).— Bernard La Mothe, « Naissance de la prévention au Québec : visite guidée... dans le temps », Prévention au travail (Montréal), 15 (hiver 2002), no 1 : 7–14.— Éric Leroux, « Louis Guyon », Regroupement des chercheurs-chercheures en hist. des travailleurs et travailleuses du Québec, Bull. (Montréal), 21 (1995), no 3 : 3–4.— Québec, Parl., Doc. de la session, 1890 (rapports de l’inspecteur des manufactures, 1888–1890) ; 1899–1901 (rapports de l’inspecteur des établissements industriels et des édifices publics, 1898–1900) ; 1903–1905, 1907–1909 (rapports de l’inspecteur en chef, 1902–1904, 1906–1909) ; 1919–1920, 1923–1924, 1931–1932 (rapports du sous-ministre du Travail, 1918–1919, 1922–1923, 1930–1931).— La Vie littéraire au Québec, sous la dir. de Maurice Lemire et al. (6 vol. parus, Sainte-Foy [Québec], 1991– ), 4–5.
Jean-Claude Dionne, « GUYON, LOUIS (baptisé Pierre-Louis-Henri) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/guyon_louis_16F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/guyon_louis_16F.html |
Auteur de l'article: | Jean-Claude Dionne |
Titre de l'article: | GUYON, LOUIS (baptisé Pierre-Louis-Henri) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2020 |
Année de la révision: | 2020 |
Date de consultation: | 9 oct. 2024 |