DUMAS, ALEXANDRE, homme d’affaires, officier de milice, notaire, avocat et homme politique, né vers 1726 à Nègrepelisse, France, fils de Jean Dumas et de Marie Favar ; décédé le 11 juillet 1802 à Québec.
Grâce à des associations commerciales et à des mariages, la grande famille des Dumas de la région de Montauban dans le sud de la France fut en relations avec presque tous les drapiers de cette région qui commercèrent avec Québec à partir de La Rochelle et de Bordeaux, entre autres, pendant les 20 dernières années du Régime français. Alexandre Dumas vint à Québec en 1751, accompagné d’un cousin, Jean Dumas* Saint-Martin, probablement comme représentant du marchand Jean Chaudrue, de La Rochelle. L’année suivante, le frère cadet d’Alexandre, Antoine-Libéral, se joignit à lui en tant que commis. Jean-Daniel Dumas*, cousin d’Alexandre, les avait tous précédés dans la colonie, car il était arrivé en 1750 comme officier dans les troupes de la Marine. Huguenot, Alexandre Dumas représentait l’une des 14 ou 15 entreprises protestantes françaises installées dans la colonie en 1754, dont celles de Joseph Rouffio*, de François Havy*, de Jean Lefebvre* et de François* et Jean-Mathieu* Mounier. Entre 1755 environ et 1757, Dumas, toujours à Québec, s’associa à au moins deux autres marchands protestants de Montauban, Antoine Fraisses de Long et Joseph Senilh. Bien que Mgr Henri-Marie Dubreil* de Pontbriand se méfiât de l’ensemble des marchands huguenots – du fait d’anciens conflits religieux en Europe –, le gouverneur Ange Duquesne* de Menneville et l’intendant Bigot* les défendirent à maintes reprises, faisant remarquer, en 1755, que les trois quarts du commerce de la colonie dépendaient d’eux. Cette domination continua jusqu’à la Conquête.
Pendant le Régime français, Dumas s’intéressa, entre autres, au commerce des pêcheries dans le golfe du Saint-Laurent, domaine où il continuera d’exercer son activité après 1759. Le 1er avril 1756, Pierre Révol*, ancien faux-saunier assez bien connu, prit à bail le poste du Gros Mécatina ; plus tard dans le mois, Dumas et Servant Durand, navigateur de Québec, se joignirent à lui pour acheter les installations qui se trouvaient sur place. Or, cette année-là, Révol fit faillite ; Dumas et Dumas Saint-Martin conclurent un accord avec les créanciers de Révol, ce qui amena ce dernier à accepter un poste gouvernemental à Gaspé en 1757. Pendant son absence, les relations entre Dumas et la femme de Révol, Marie-Charlotte, se transformèrent en adultère manifeste, objet de maints bavardages, qui se termina en janvier 1758 par un règlement à l’amiable après que Révol fut revenu à Québec pour la saison d’hiver. Dumas se vit contraint de quitter Québec jusqu’au départ de Révol pour Gaspé, puis d’aller en France à l’automne au plus tard ; il dut aussi assurer une rente à l’infortunée Mme Révol. Le scandale fit oublier les difficultés financières personnelles de Dumas : en mai 1758, Senilh avait entrepris une action en justice pour saisir les maisons qu’il possédait à Québec.
En juillet 1760, Dumas était de retour dans la colonie. À L’Islet, le 6 octobre, il abjura sa foi afin d’épouser une catholique, Marie-Joseph Requiem, née La Roche ; ils eurent quatre enfants dont un seul atteignit l’âge adulte. Ce fut l’un des rares mariages contractés entre des catholiques et des marchands naguère de foi protestante (Antoine-Libéral abjura l’année suivante pour épouser Marguerite Cureux). La conversion d’Alexandre ne dura qu’un temps : deux de ses enfants reçurent le baptême dans l’Eglise protestante et, le 16 octobre 1764, il signa la déclaration controversée du jury d’accusation de Québec qui, dans une de ses clauses, refusait d’accepter les jurés catholiques dans les causes où intervenaient des plaideurs britanniques [V. George Allsopp].
Marchand au détail avant la Conquête, Dumas continua d’exercer par la suite ce genre de commerce dans les milieux d’affaires français et canadien. Vers 1762, il se joignit à Jean Taché* pour exploiter le poste du Gros Mécatina puis, en 1764, il participa avec un nommé Louis Nadeau à une entreprise de meunerie sur les rives de la Saint-Charles. En 1766, il s’était associé à Henri-Marie-Paschal Fabre, dit Laperrière, connu sous le nom de Pascal Rustan. Par suite de l’afflux des marchands britanniques et du nouvel alignement commercial de la colonie sur Londres, Dumas fit aussi affaire avec des marchands comme Alexander Mackenzie et William Bayne, ainsi qu’avec la maison Moore and Finlay [V. Hugh Finlay]. Au cours des années 1760, il séjourna à Londres au moins à deux reprises pour des raisons d’affaires : des actes notariés de cette époque indiquent de façon claire mais incomplète la nature de ses transactions avec des marchands français à Londres, à Paris et à Bordeaux, concernant en général des comptes d’avant la Conquête et souvent faites au nom d’autres marchands de la colonie. En 1766, il dirigea à Québec une délégation qui présenta, sans succès, une pétition au gouverneur Murray* pour obtenir un arrêté au sujet des créances irrécouvrables contractées avant 1760.
Le 9 juin 1767, Dumas, Christophe Pélissier*, Dumas Saint-Martin, Brook Watson de Londres et cinq autres associés obtinrent de la couronne un bail de 16 ans pour une grande étendue de terre qui comprenait la seigneurie et les forges du Saint-Maurice, près de Trois-Rivières. En 1771, Dumas engagea Pierre de Sales Laterrière à titre de représentant de la compagnie à Québec, responsable de la vente d’objets manufacturés en fer provenant du magasin de Dumas à Québec. Malgré son exploitation résolue des forges qu’il voulait probablement transformer en une industrie qui constituerait une base solide, Dumas connut personnellement une augmentation de ses problèmes financiers. En 1764, il avait détenu de la monnaie de cartes et des lettres de change canadiennes d’une valeur de plus de £39 000 mais, en 1769, pendant l’effondrement du marché de la monnaie de papier, il avait fait faillite, selon Laterrière, avec une dette de £33 000. L’année suivante, la maison Rigal et Peeholier, de Bordeaux, remporta en France contre Dumas le jugement d’un compte remontant à 1755 ; en 1771, à l’époque où l’association avec Rustan était dissoute, une bonne partie des biens de Dumas fut vendue à la demande du marchand montréalais Jean Orillat*.
Pendant l’invasion de Québec par les Américains en 1775–1776, Dumas servit comme capitaine dans la milice canadienne et fut de ceux qui repoussèrent l’assaut mené par Benedict Arnold, rue du Sault-au-Matelot. On rapporte aussi que Dumas aurait construit une « machine » pour moudre le blé dans la ville investie. Le 15 septembre 1776, il épousa une autre catholique, la bien connue Marie-Françoise Meignot, fille de Louis Fornel* et de Marie-Anne Barbel* ; ils n’eurent pas d’enfants. Moins de quelques mois après leur mariage, Dumas et sa femme, laquelle avait pris en main les intérêts commerciaux de son ex-mari, avaient autorisé la maison londonienne Watson and Rashleigh à percevoir une créance à Dunkerque, en France.
Au début de 1778, Dumas acquit pour lui-même le bail des forges du Saint-Maurice et, plus tard dans l’année, il s’y installa pour en prendre la direction, succédant à Laterrière. Cette acquisition ainsi que d’autres activités commerciales eurent apparemment pour effet d’accroître ses dettes personnelles, surtout envers Alexander Davison et John Lees ; en 1779, Dumas fut accusé d’accaparer le marché du blé, lequel constituait, dans l’ombre de la guerre d’Indépendance américaine, un terrain choisi pour de vigoureuses spéculations. En septembre 1782, il présenta une requête au gouverneur Haldimand pour obtenir le renouvellement du bail des forges du Saint-Maurice, qui arrivait à terme l’année suivante ; or, le 3 février 1783, le bail fut cédé à Conrad Gugy*, peut-être en partie à cause du délabrement dans lequel se trouvaient les forges. Par suite de cette décision, les créanciers de Dumas firent pression sur lui, et le receveur général adjoint, William Grant (1744–1805), le poursuivit pour la vente de l’équipement et de la ferronnerie encore en sa possession à Québec.
Faute d’avoir pu obtenir ce bail, Dumas fut contraint de se retirer des affaires et d’envisager une autre occupation. Depuis quelque temps, il semblait s’intéresser au droit ; en 1776, il possédait près de 90 volumes sur le sujet et, en septembre, lors de la vente aux enchères des biens possédés en commun avec sa femme, décédée probablement peu avant, il en racheta les deux tiers. Le 12 mai 1783, Adam Mabane*, Thomas Dunn et Pierre Panet l’examinèrent comme candidat au notariat ; trois jours plus tard, il recevait une commission de notaire. Ce fut vers cette époque qu’il quitta les forges pour retourner à Québec. Le 8 décembre 1784, Haldimand accorda en outre à Dumas une commission d’avocat, à la suite d’une demande que ce dernier lui avait adressée en dépit d’une décision précédente du gouverneur interdisant le cumul des charges de notaire et d’avocat. Cet incident projeta Dumas au cœur de la controverse dont faisait l’objet la réglementation du barreau à Québec. Le 6 décembre, la Communauté des avocats s’était opposée à son admission probable, faisant valoir que le barreau était suffisamment pourvu et que Dumas était un candidat inapte, vu son âge et ses faillites. Lorsqu’il reçut sa charge, malgré leurs objections, les avocats adressèrent, le 11, une réclamation à la Cour des plaids communs, laquelle leur fit savoir, en janvier, qu’il n’y avait rien à faire à propos de Dumas, mais qu’un tel abus ne se reproduirait plus. Dumas fut reçu dans la Communauté des avocats le 30 mars. Quoique celle-ci déposât d’ultimes protestations auprès du tribunal et qu’une ordonnance fût adoptée en avril 1785 pendant la tumultueuse session législative [V. Henry Hamilton*], Dumas ne quitta sa charge que le 9 août 1787. Il semble avoir assez bien réussi comme notaire : il prit part au règlement de la succession de Hugh Finlay ; parmi sa clientèle habituelle, il comptait Joseph Drapeau et James Tod.
Dumas ne joua pas un rôle prépondérant dans les débats politiques des années 1780, au cours desquels un grand nombre de marchands britanniques désirant des lois anglaises et une constitution britannique se coalisèrent contre le French party dirigé par Mabane, lequel parti cherchait à sauvegarder les lois françaises et la coutume canadienne par le maintien de l’Acte de Québec. Une enquête réalisée en 1787 sur l’administration de la justice dans la province révèle cependant que Dumas avait récusé en cour la validité de l’association de Davison et de Lees parce qu’elle n’avait pas été enregistrée selon le code de commerce français, avec lequel il était sans aucun doute familier, mais que les marchands britanniques s’efforçaient avec acharnement de faire remplacer par le droit et la coutume britanniques. Cherchant comme toujours à s’adapter, Dumas comprit probablement, à l’instar d’autres chefs politiques canadiens, tel Pierre Guy, qu’une chambre d’assemblée, conformément à l’Acte constitutionnel de 1791, offrirait une nouvelle tribune pour la défense du droit français et de la coutume canadienne. Pendant les premières élections de 1792, il annonça fièrement, dans la Gazette de Québec et devant le Club constitutionnel à Québec, son appui aux principes constitutionnels britanniques. De 1797 à 1800, malgré de fréquentes douleurs rhumatismales, il siégea à la chambre d’Assemblée où il représenta, avec Charles Bégin, la circonscription de Dorchester. À 14 occasions sur 19, il appuya le parti canadien, successeur du French party dans la défense des lois françaises et des usages canadiens, contre le parti des bureaucrates dirigé par John Young. En 1799, il contribua à obtenir une modification à la loi de 1796 concernant les routes, permettant ainsi de créer des districts administratifs plus efficaces aux termes de la loi.
De 1793 environ jusqu’à sa mort, Dumas s’occupa d’acheter et de vendre en son nom des terrains dans la région de Québec ; de plus, il agit souvent comme procureur de Jeremiah McCarthy* ou d’autres dans des questions foncières. Eu égard à ses longs états de service dans la milice, Dumas fut proposé en 1800 pour obtenir une concession de terre. Deux ans plus tard, il recevait des lettres patentes pour des lots situés dans les cantons de Windsor et de Simpson où la terre n’était attribuée qu’aux anciens combattants des compagnies de milice canadiennes qui avaient servi lors du siège de Québec par les Américains. Dumas était demeuré actif dans la milice et, en 1802, il avait atteint le grade de lieutenant-colonel du 2e bataillon de la ville de Québec.
Alexandre Dumas mourut subitement quelques semaines après son mariage ; le 15 mai 1802, il avait épousé Catherine Lee, fille de Thomas Lee, marchand de Québec. On lui fit des funérailles dans l’église anglicane de Québec. Dumas avait manifesté peu de retenue en matière de convenances et de religion, penchant qui n’était pas rare dans la société de Québec mais qui, combiné à ses faillites, avait évidemment terni son image de marque. Obligé de se retirer des affaires parce qu’il n’avait pu conserver le bail des forges du Saint-Maurice et qu’il avait définitivement perdu sa place dans le système de crédit du xviiie siècle, Dumas s’orienta vers le notariat, pourvu de ses relations d’affaires et de ses connaissances juridiques.
Alexandre Dumas est l’auteur d’un discours dont une version préliminaire a été publiée dans la Gazette de Québec du 24 mai 1792 et qui a connu possiblement une publication séparée. Il est peut-être aussi l’auteur d’une série d’articles, publiés sous le pseudonyme de Solon, parus également dans la Gazette de Québec du 23 février au 15 mars 1792 et qui portaient comme titre « Pour accompagner la nouvelle constitution ». [d. r.]
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David Roberts, « DUMAS, ALEXANDRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/dumas_alexandre_5F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/dumas_alexandre_5F.html |
Auteur de l'article: | David Roberts |
Titre de l'article: | DUMAS, ALEXANDRE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
Année de la révision: | 1983 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |