GRAVES, THOMAS, 1er baron GRAVES, officier de marine et gouverneur de Terre-Neuve, né le 23 octobre 1725 à Thanckes, Angleterre, deuxième des trois fils du capitaine Thomas Graves et de sa seconde femme, Elizabeth Budgell ; le 22 juin 1771, il épousa à Ottery St Mary, Angleterre, Elizabeth Williams, fille et cohéritière de William Peere Williams, de Cadhay House, Angleterre, et ils eurent deux fils et trois filles ; décédé le 9 février 1802 à Cadhay House.

Thomas Graves grandit dans une famille de marins. Il alla pour la première fois à Terre-Neuve pendant l’été de 1739 ou de 1740, à titre de jeune volontaire au sein de l’escadre du commodore Henry Medley, alors gouverneur de l’île. Peu après, il passa à bord du Norfolk, que commandait son père ; en 1741, il prit part à l’expédition ratée contre Carthagène (Colombie). Le 25 juin 1743, il fut promu lieutenant de vaisseau et affecté au Romney, navire de 50 canons. Après le traité d’Aix-la-Chapelle en 1748, il entreprit l’étude systématique des principes de l’artillerie et des ouvrages de fortification, et il apprit le français. Promu capitaine en 1755, il commanda un certain nombre de navires au cours des premières années de la guerre de Sept Ans.

Le 14 mai 1761, le gouverneur de Terre-Neuve, James Webb*, mourut inopinément juste avant d’aller assumer ses fonctions. Le lendemain, Graves reçut une commission de gouverneur et de commandant en chef, puis fit voile sur Terre-Neuve le 26 du même mois. Il escorta la flotte annuelle de bateaux de pêche du sud-ouest de l’Angleterre dans sa traversée de l’Atlantique et arriva sans accident à St John’s le 1er juillet. Après avoir vu à la marche de la pêche estivale et réglé les disputes coutumières, il partit pour l’Europe au mois de novembre, en compagnie de 66 navires marchands. Ayant d’abord à escorter les navires jusqu’au marché portugais, puis à les attendre de façon à les raccompagner jusqu’en Angleterre, Graves ne rentra pas à Plymouth avant le 18 mars 1762. Il agit de la même façon au cours des trois ans de son gouvernement, mais les étés suivants allaient être moins routiniers.

Pendant son voyage vers Terre-Neuve en 1762, Graves apprit de Charles Douglas*, capitaine du Siren, que quatre navires de guerre français avaient été aperçus au moment où ils s’approchaient de St John’s. Quand le gouverneur arriva sur la côte de Terre-Neuve, près du cap Race, au début de juillet, il fut informé que St John’s était déjà aux mains des Français. Il renforça rapidement la garnison de l’île Bois, dans le havre de Ferryland, puis se fraya un passage à travers un champ d’icebergs jusqu’à Placentia, le seul autre centre défendu par une garnison qui restât aux Britanniques. Usant de ses connaissances d’ingénieur, il y répara les forts.

Entre-temps, lord Alexander Colvill*, commandant en chef de l’escadre de l’Amérique du Nord, faisait route vers l’île, après avoir quitté son quartier général de Halifax, et arrivait à Placentia le 14 août. Huit jours plus tard, Graves prit la nier avec lui pour établir le blocus de St John’s ; il emmenait quelque 50 pêcheurs de la baie de la Conception, qui s’étaient portés volontaires. Colvill fut rejoint, au large de St John’s, par des transports de troupes, sous les ordres du lieutenant-colonel William Amherst, et les soldats débarquèrent le 13 septembre à Torbay, à environ dix milles au nord de la capitale. L’escadre ennemie, sous le commandement de Charles-Henri-Louis d’Arsac* de Ternay, s’enfuit du port de St John’s trois nuits plus tard, et les Français capitulèrent le 18 du même mois. Au départ de Colvill, au début d’octobre, il revenait à Graves de se débrouiller avec les ruines laissées par la guerre et les réclamations concernant la propriété. Outre St John’s et Bay Bulls, plusieurs petits villages de pêcheurs prospères du Nord, et plus particulièrement Harbour Grace, Carbonear et Trinity, avaient été dévastés et leur population dispersée. Pour employer les mots mêmes de Graves, la pêche avait été « presque paralysée dans les parties est et nord de l’île ».

Aux termes du traité de 1763, le Labrador, en tant que partie de la Nouvelle-France, devenait territoire britannique ; il fut placé sous la juridiction du gouverneur de la marine royale, à Terre-Neuve. Les instructions de Graves lui enjoignaient d’encourager le développement d’une industrie de pêche hauturière anglaise sur la côte du Labrador et de surveiller les pêches mixtes sur la côte française, au nord de Terre-Neuve, selon les dispositions du traité de paix, lequel permettait aux Français de continuer d’y pêcher et d’y sécher le poisson. Graves décida d’emmener d’Angleterre un hydrographe afin de commencer à lever la carte des côtes de son territoire, encore largement inconnues. Bien qu’on croie généralement que Hugh Palliser* fut le grand protecteur de James Cook*, c’est Graves qui le fit nommer hydrographe de Terre-Neuve en 1763, qui harcela l’Amirauté pour obtenir les approvisionnements et les instruments nécessaires, et qui lui acheta le petit schooner Grenville, à Terre-Neuve. Au moment où Graves quitta son poste de gouverneur, Cook lui donna l’assurance que les levés hydrographiques se poursuivraient probablement jusqu’à la fin, en ajoutant que c’était là une « chose utile et nécessaire pour laquelle le monde [entier] devrait [lui] témoigner de la reconnaissance ».

À l’été de 1763, le capitaine John Ruthven rapporta, à partir de la côte dont parlait le traité, que les Français coupaient des arbres pour construire des bateaux et des entrepôts, et qu’ils abandonnaient des embarcations derrière eux à la fin de la saison. Ruthven brûlait toutes celles qui lui tombaient sous la main, mais il sollicitait des directives. À St John’s, Graves s’ingénia à donner aux termes du traité une interprétation modérée qui, espérait-il, fût acceptable aux autorités de la Grande-Bretagne. Il expliqua à Ruthven que, selon le traité, les Français n’étaient autorisés qu’à ériger des échafauds de planches et les abris indispensables à la pêche et au séchage du poisson ; il lui ordonna de détruire toute autre construction, de même que son contenu, une fois faites les sommations nécessaires. Les embarcations construites avec du bois de Terre-Neuve devaient aussi être détruites, mais non point les embarcations apportées de France, même si elles étaient laissées sur place pendant l’hiver. Les navires qui continueraient de pêcher une fois la saison terminée devaient être repoussés au large, encore après la sommation d’usage. Par-dessus tout, il fallait que les pêcheurs, tant britanniques que français, reconnussent la souveraineté des Britanniques sur la côte, et l’autorité qu’avaient le gouverneur et ses substituts de régler toutes les disputes.

Au moment où Graves retourna en Angleterre, en mars 1764, l’ambassadeur de France avait déposé de « lourdes plaintes » au sujet du comportement des capitaines de Graves sur la côte dont parlait le traité, spécialement en forçant les pêcheurs français à partir au plus tard le 10 septembre. Dans sa réplique, Graves se défendit, relativement à cette date du mois de septembre, en invoquant « l’usage du pays », et il accusa les Français de chercher simplement des excuses pour passer tout l’hiver sur la côte afin de faire du trappage, d’abattre des arbres et de construire des embarcations, d’une part, et de vivre dans ce qui était presque de « petites villes françaises », d’autre part. En mai 1764, l’Amirauté réprimanda Ruthven pour la « violence et la témérité » de son comportement, et le successeur de Graves, Palliser, reçut instructions d’empêcher les pêcheurs britanniques et ses propres officiers d’interrompre à l’avenir l’activité de pêche des Français. En même temps, l’Amirauté assurait Graves qu’elle était « tout à fait satisfaite de sa conduite à Terre-Neuve ». De fait, c’est pour une large part grâce à l’attitude résolue de Graves que le gouvernement britannique put rejeter entièrement une réclamation des Français, voulant que la côte mentionnée dans le traité de 1763 fût exclusivement réservée à leurs pêcheurs.

Réfléchissant aux trois années de son gouvernement, Graves fit remarquer franchement que beaucoup d’anciennes lois, en particulier celles qui favorisaient la pêche hauturière anglaise, étaient désuètes et non respectées. Il signala aussi que l’officier de marine qui assumait les fonctions de gouverneur était en position de faiblesse à cause de son inexpérience de l’administration civile, de l’absence de conseillers désintéressés et de la courte durée de son mandat : « le premier été, le gouverneur n’est pas censé connaître quoi que ce soit de ce qui fait l’objet de ses responsabilités ; le deuxième, il a conservé précieusement un tas de rapports incompatibles et contradictoires concernant les coutumes et l’intérêt du pays, qui lui ont été présentés exactement dans le sens des préoccupations de ceux qui les préparent ; le troisième été, comme il commence à connaître quelque peu les gens et à faire la part du vrai et du faux, il est rejeté et on n’entend plus parler de lui de sorte que, malgré ses bonnes dispositions et la peine qu’il se donne, on ne peut attendre grand-chose de lui ».

En décembre 1764, on nomma Graves commandant de l’escadre dépêchée sur la côte ouest de l’Afrique pour enquêter sur les plaintes des marchands contre les gouverneurs des forts britanniques. À son retour, il commanda successivement plusieurs navires de guerre, la plupart du temps dans les eaux territoriales de la Grande-Bretagne. Il siégea peu de temps au Parlement en 1775, comme député d’East Looe, dans le comté de Cornwall, mais il ne prit point la parole et ne vota jamais. La Révolution américaine ramena Graves une fois de plus au service actif. En 1779, il était aux Antilles avec la flotte du vice-amiral John Byron* ; en 1780, il était attaché à la flotte de la Manche, commandée par sir Charles Hardy* ; et, en juillet 1781, il succédait à Mariot Arbuthnot* à titre de commandant en chef de l’escadre de l’Amérique du Nord. En septembre, il échoua dans sa tentative de forcer le blocus naval français contre l’armée britannique à Yorktown, en Virginie, qui dut capituler en octobre. Naturellement, on le critiqua, mais la flotte française était supérieure en nombre, et seul un commandant du calibre de Nelson eût probablement pu la déloger. En laissant le commandement de l’Amérique du Nord, en novembre, Graves partit pour les Antilles. Après la bataille des îles des Saintes, il fit voile vers l’Angleterre en juillet 1782, ayant la responsabilité d’une escadre disparate formée surtout de navires capturés à l’ennemi. Beaucoup périrent au cours d’une tempête, et son vaisseau amiral, le Ramillies, dut être démoli pour avoir été trop lourdement endommagé.

Graves fut promu vice-amiral de l’escadre bleue en septembre 1787 et devint, peu après, commandant en chef à Plymouth. À l’ouverture des hostilités avec la France, en 1793, il fut nommé commandant en second de la flotte de la Manche, sous les ordres de lord Howe, et, l’année suivante, il fut promu amiral. Aux commandes du Royal Sovereign, il défit trois navires de ligne ennemis lors de la bataille du « glorieux 1er juin » 1794 ; en récompense, il fut élevé à la pairie irlandaise. Cette bataille, toutefois, marqua la fin de sa longue carrière en mer : blessé grièvement au bras droit, il dut se retirer sur ses terres, dans le Devon. James Northcote peignit le portrait de Graves, et Francesco Bartolozzi grava son portrait également, avec en fond de scène la représentation de cette grande victoire navale.

L’un des plus intéressants parmi les premiers gouverneurs de Terre-Neuve, Thomas Graves assuma ses fonctions à une période critique du développement de l’île. Sa personnalité ressort bien de sa correspondance, car il n’hésitait pas à parler franchement, même de questions personnelles. Le commandement qu’il exerça à Terre-Neuve, où il n’y avait pas de butin à retirer et où il était constamment aux prises avec des querelles relatives à la pêche, ne peut pas avoir été attrayant pour lui. N’empêche que l’historien de l’île, Daniel Woodley Prowse*, loue le « sang-froid et la méthode avec lesquels il travailla à la défense de la colonie, les admirables dispositions qu’il sut prendre, la lucidité de ses jugements et la totale absence, chez lui, du fanatisme propre à son temps ». Qu’il ait ou non aimé Terre-Neuve, il apporta à l’accomplissement de sa tâche un sens professionnel et un discernement qui firent de son gouvernement une réussite.

W. H. Whiteley

National Maritime Museum, GRV/101–120.— PANL, GN 2/1, 3.— PRO, ADM 1/482 ; 1/1835–1836 ; 1/4126 ; ADM 2/88 ; 2/90 ; 2/535–537 ; ADM 51/50 ; CO 194/15 ; 194/26 ; CO 195/9 (infra aux APC) ; PROB 11/1378/546.— « Biographical memoir of the right hon. Thomas Lord Graves [...] », Naval Chronicle, 5 (janv.-juin 1801) : 377–408.— « Some account of Admiral Lord Graves », European Magazine, and London Rev. (Londres), 28 (juill.–déc. 1795) : 147–156.— John Charnock, Biographia navalis : or, impartial memoirs of the lives and characters of officers of the navy of Great Britain, from the year 1660 to the present time [...] (6 vol., Londres, 1794–1798), 6 : 126–143.— DNB. Prowse, Hist. of Nfld.

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W. H. Whiteley, « GRAVES, THOMAS, 1er baron GRAVES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 15 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/graves_thomas_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
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