ROUBAUD, PIERRE-JOSEPH-ANTOINE, prêtre, jésuite, missionnaire, né à Avignon, France, le 28 mai 1724, fils de Pierre-Pascal Roubaud et de Marguerite Tressol, décédé à Paris, sans doute après 1789.
Fils aîné d’une famille pauvre et nombreuse, Pierre-Joseph-Antoine Roubaud entra au collège des jésuites d’Avignon à l’âge de 13 ans. Ses supérieurs notèrent chez lui un sérieux manque de prudence et de jugement, mais ils l’admirent néanmoins au noviciat en septembre 1739 car il démontrait une grande aptitude pour le professorat. Aussi enseigna-t-il pendant sept ans dans différents collèges avant de s’embarquer pour le Canada au printemps de 1756.
Roubaud fut assigné à la mission Saint-François-de-Sales (Odanak) et, malgré une santé délicate, il accompagna dès l’été les Abénaquis dans les nombreuses expéditions militaires de la guerre de Sept Ans. Après la destruction du village de Saint-François-de-Sales parles soldats du major Robert Rogers, le 4 octobre 1759, le missionnaire se retira à Montréal et y passa l’hiver. Le 23 mars suivant, dans l’église paroissiale de cette ville, il prononça un sermon dans lequel il accusait les troupes françaises de mœurs dissolues et les tenait responsables de la défaite de Québec. Piqués au vif, les officiers voulurent lui faire un mauvais parti ; Roubaud dut se cacher dans le couvent de sa communauté puis s’enfuir à Sault-Saint-Louis (Caughnawaga, Québec).
En 1760, à l’approche des troupes britanniques, le gouverneur Vaudreuil [Rigaud] lui demanda d’amener, près de Montréal, ses Abénaquis réfugiés à Saint-Régis. Le jésuite ne put s’exécuter car ceux-ci, craignant des représailles de la part des Britanniques, s’enfuirent à la mission du Lac-des-Deux-Montagnes (Oka). Devenu suspect aux yeux des autorités françaises, Roubaud profita de la capitulation de la ville pour informer Amherst qu’il était disposé à le renseigner sur le Canada et à prêter le serment de fidélité à Sa Majesté britannique. Un mois plus tard, son supérieur, le père Jean-Baptiste de Saint-Pé*, le somma de quitter la mission Saint-François-de-Sales où il était revenu, et de se rendre incessamment à l’une des résidences jésuites. Roubaud s’en plaignit au gouverneur de Trois-Rivières, Ralph Burton*, qui s’opposa à tout déplacement du missionnaire. Plusieurs historiens ont affirmé qu’une affaire de mœurs était à l’origine de ce rappel, mais il semble plutôt qu’on cherchait à l’éloigner des Abénaquis à cause de son changement d’allégeance.
En octobre 1762, Roubaud, malade, se rendit à Québec et passa l’hiver chez les jésuites qui lui reprochèrent sa conduite et ses relations avec les Anglais, ce qui ne l’empêcha pas de devenir l’intime de Murray et d’aller vivre chez lui à l’été. Tout en le renseignant sur le pays, Roubaud distrayait le gouverneur par ses talents de causeur et de poète mais il l’effraya lorsqu’il voulut déclarer publiquement son attachement à la religion protestante. À l’été de 1764, Murray l’envoya en Angleterre renseigner les autorités gouvernementales sur leur nouvelle colonie. Les jésuites, croyant que Roubaud allait se retirer dans un couvent européen, payèrent les frais de son voyage et s’engagèrent à lui verser dix guinées par mois, durant cinq mois. Par la suite, Murray les obligea à prolonger cette pension durant 11 mois.
Arrivé à Londres en août 1764, Roubaud passa les premiers mois de son séjour à faire la cour aux belles dames. En novembre, il entra au service du comte de Halifax, secrétaire d’État pour le département du Sud, responsable des colonies, et rédigea à son intention plusieurs mémoires concernant les Indiens, l’affaire du papier-monnaie et la situation religieuse au Canada. Si ces mémoires n’eurent vraisemblablement pas d’effet marquant sur les décisions des ministres, celui sur la religion inquiéta beaucoup le chanoine Briand qui tentait, à Londres, d’obtenir du gouvernement britannique l’autorisation de se faire sacrer évêque. Dans ce mémoire, Roubaud prétendait que le meilleur moyen pour l’Angleterre de s’attacher les Canadiens était de les éloigner de leur religion en les privant d’un évêque catholique et en leur fournissant le moins de prêtres possible. Satisfait de ses services, lord Halifax présenta Roubaud au roi George III et lui obtint une pension de 20 guinées par mois. Le bénéficiaire envisageait une vie libre de soucis financiers lorsqu’au mois de juillet 1765 un changement de ministère lui fit perdre son emploi et sa pension. Il venait tout juste d’épouser une jeune fille de modeste origine du nom de Mitchell et ses besoins monétaires s’en trouvaient accrus. Les jésuites de Québec, se considérant libérés de toute obligation à son égard depuis son mariage, lui refusèrent leur aide et, pour se tirer d’embarras, Roubaud dut exercer plusieurs métiers dont celui de comédien.
À partir de septembre 1766, lord Shelburne qui venait de prendre la direction du département du Sud employa Roubaud. Ce dernier lui fit connaître ses vues concernant la concession située sur Baie-des-Puants (Green Bay, Wisconsin) que le roi de France avait cédée à vie à François-Pierre de Rigaud de Vaudreuil et à son épouse, à l’automne de 1759. À cause de la Conquête, cette concession n’avait jamais été enregistrée au Conseil supérieur et, lorsqu’en janvier 1765 les Vaudreuil vendirent à William Grant* (1744–1805) ce territoire comportant des droits exclusifs sur la traite des fourrures, certains négociants anglais firent des pressions auprès du gouvernement pour faire invalider cette vente. Dans son mémoire, Roubaud se prononça contre la validité de la concession et son opinion eut peut-être quelque poids dans la décision du gouvernement anglais de ne pas reconnaître ce territoire comme propriété des Vaudreuil.
Lord Shelburne quitta son ministère au début de 1768 et Roubaud se retrouva encore sans emploi. Il s’endetta au point de faire plusieurs séjours en prison, bien qu’à la fin de 1769 il obtint une pension de £100 pour services rendus à l’État. En 1769, Amherst demanda au roi de lui accorder les biens des jésuites en guise de récompense pour son rôle dans la Conquête et, en 1770, Roubaud soumit au général un mémoire pour appuyer sa requête, espérant sans doute en tirer quelque profit. Amherst fut favorablement impressionné et fit siens les arguments du jésuite qu’il répéta point par point au colonel James Robertson, son agent au Canada. Cependant Amherst n’obtint jamais les biens convoités et Roubaud ne reçut sans doute rien pour ses services.
Fatigué des demandes d’argent de Roubaud, le comte de Dartmouth, secrétaire d’État des colonies, lui procura au mois de novembre 1773 un emploi de secrétaire auprès de sir Joseph Yorke, ambassadeur d’Angleterre en Hollande. Yorke, satisfait des services de l’ex jésuite, conseilla à Dartmouth de solder ses dettes, de sorte qu’au début de janvier 1775 Roubaud revint dans la capitale anglaise. À l’été, M. de Sandray, secrétaire de l’ambassadeur de France à Londres, l’engagea pour recueillir tout renseignement qu’il pourrait découvrir concernant la guerre d’Indépendance américaine et pour lui rapporter les débats de la chambre des Communes. En novembre, Roubaud prépara un mémoire recommandant l’alliance de l’Angleterre et de la France afin de supprimer la rébellion des Treize Colonies. Il espérait que la réalisation d’un tel projet pourrait lui assurer un emploi car, pensait-il, on en confierait l’initiative à des agents obscurs et peu connus plutôt qu’à des chefs d’État. Mais, loin d’obtenir l’effet désiré, Roubaud s’attira des remontrances de la part des Anglais et une méfiance accrue des Français.
Voyant que les événements d’Amérique influaient sur la scène internationale, Roubaud conçut l’idée de forger des lettres prophétiques dans lesquelles Montcalm* prédisait à l’avance la prise du Canada parles Anglais et la rébellion des Treize Colonies. Ces lettres parurent à Londres en 1777 sous le titre de Lettres de Monsieur le Marquis de Montcalm, gouverneur-général en Canada : à Messieurs de Berryer et de La Molé, écrites dans les années 1757, 1758, 1759 [...]. Certains historiens se sont donné beaucoup de mal pour établir que ces lettres étaient forgées de toutes pièces, mais les documents de l’époque démontrent clairement que les contemporains n’en étaient pas dupes et l’auteur lui-même en admit la fausseté.
En juin 1777, l’ambassade de France remercia Roubaud de ses services car ses comptes rendus n’étaient pas exacts et, de toute évidence, il était à la solde des ministres britanniques. En novembre 1778, le comte d’Almodóvar, ambassadeur d’Espagne à Londres, l’employa pour qu’il lui rapporte les débats de la chambre des Communes et plus tard pour faire de la traduction. Ce dernier emploi lui donnait accès à d’importants documents qui lui permirent de renseigner les ministres britanniques sur certains aspects de la guerre d’Indépendance américaine.
Au cours de l’année 1779, Roubaud se retrouva de nouveau sans emploi et descendit jusqu’aux plus bas échelons de l’espionnage, ce qui l’amena à fréquenter les pires milieux. Ce n’est qu’à l’été de 1783 qu’il exerça de nouveau un travail rémunérateur. Un grand nombre de Canadiens se trouvaient à Londres pour exposer aux ministres des projets de réforme ou pour régler des poursuites judiciaires. S’étant introduit dans leur milieu, Roubaud leur offrit sa plume pour la rédaction des mémoires qu’ils entendaient présenter aux ministres. Une fois de plus, il en profita pour arrondir ses revenus en rapportant tout ce qu’il apprenait d’eux au sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, Evan Nepean. Il agit de même auprès de Pierre Du Calvet qui cherchait à obtenir justice contre le gouverneur Haldimand pour l’avoir incarcéré sous l’accusation de collaboration avec l’ennemi lors de l’invasion du Canada par les Américains en 1775–1776. Renseigné par Roubaud qui corrigeait les textes de Du Calvet, Haldimand apprenait au jour le jour les démarches de son adversaire.
Du Calvet quitta Londres au début de juillet 1785, laissant Roubaud sans gagne-pain. Comme à l’accoutumée quand il se trouvait dans l’embarras, l’ex-missionnaire tenta de convaincre les autorités britanniques qu’il avait droit à sa part des biens de la communauté des jésuites et que ses confrères s’étaient engagés à assurer sa subsistance pour la durée de son séjour à Londres. Cette fois, il faillit réussir car lord Sydney, ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), lui donna raison, jusqu’à ce qu’il se soit rendu compte de l’absurdité de ces prétentions.
Malade et incapable d’assurer l’existence de sa femme et de son enfant, Roubaud partit pour la France au début de 1788 et fut accueilli au séminaire de Saint-Sulpice à Paris où il finit ses jours à une date inconnue. Dans son journal intime, en date du 17 décembre 1789, Haldimand le dit encore vivant.
[P.-J.-A. Roubaud], « Mr. Roubaud’s deplorable case [...] », introd. par J. G. Shea, Hist. Magazine (Morrisania, N.Y.), 2e sér., VII (1870) : 282–291.
AAQ, 20 A, VI : 10 ; 1 CB, VI : 64.— AD, Vaucluse (Avignon), État civil, Saint-Pierre, 4 avril 1723, 28 mai 1724.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 2, pp.243–245 ; 6, pp.111s. ; 25, pp.42s. ; 26, pp.89s., 126 ; 55, pp.253–255 ; MG 23, A1, sér. 1, 8, no 2 991 ; 9, nos 2 315, 2 325, 2 332 ; 10, nos 2 373, 2 383 ; sér. 3, 5, f.22 ; GII, 1, sér. 1, 2, p.141 ; 3, p.264.— Archives du ministère des Affaires étrangères (Paris), Corr. politique, Angleterre, 461, f.192 ; 515, ff.64, 66, 70, 177, 189 ; 525, ff.158, 312 ; Mémoires et doc., Angleterre, 56, ff.187–199 (mfm aux APC).— Archivo General de Simancas (Simancas, Espagne), Secretaría de Estado, legajo 7 021, atado 3, número 3, Roubaud à Almodóvar, 28 nov. 1778.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Carton 13, no 35 ; Sér. O, 0116, pp.l–45 (copies aux APC).— BL, Add. mss 21 865s. (copies aux APC).— PRO, CO 42/15, p.225 ; 42/16, p.348 ; 42/17, p.233 ; 42/20, pp.52, 174s., 184 ; WO 34/6, ff.12s., 47–49, 220–267 ; 34/39, ff.321, 325–328 (copies aux APC).— APC Rapport, 1885, xiv-xxii.— Bougainville, Journal (A.-E. Gosselin), ANQ Rapport, 1923–1924, 202–393.— Coll. des manuscrits de Lévis (Casgrain), VI : 141.— Doc. relatifs à la monnaie sous le Régime français (Shortt).— Doc. relatifs à l’hist. constitutionnelle, 1759–1791 (Shortt et Doughty ; 1921).— Pierre Du Calvet, Appel à la justice de l’État [...] (Londres, 1784) ; The case of Peter Du Calvet, esq., of Montreal in the province of Quebeck (Londres, 1784).— JR (Thwaites), LXX : 90–203.— Pièces relatives à la mission de MM. Adhémar et Delisle en Angleterre en 1783–1784, BRH, XII (1906) : 325–341, 353–371.— Biographie universelle (1854–1865), XXXVI : 577.— T.-M. Charland, Hist. des Abénakis.— R. C. Dalton, The Jésuits’ estates question, 1760–1888 : a study of the background for the agitation of 1889 (Toronto, 1968), 8–10, 22, 28.— A. [G.] Doughty et G. W. Parmelee, The siege of Quebec and the battle of the Plains of Abraham (6 vol., Québec, 1901), VI : 122.— Gustave Lanctot, Faussaires et faussetés en histoire canadienne (Montréal, 1948), 171–200.— Rochemonteix, Les jésuites et la N.-F. au
Auguste Vachon, « ROUBAUD, PIERRE-JOSEPH-ANTOINE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/roubaud_pierre_joseph_antoine_4F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/roubaud_pierre_joseph_antoine_4F.html |
Auteur de l'article: | Auguste Vachon |
Titre de l'article: | ROUBAUD, PIERRE-JOSEPH-ANTOINE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 11 oct. 2024 |